S'étonner

Représenter c’est avant tout faire le détour par son âme

La représentation, c’est une discussion qui n’a pas de réponse.

Elle est une sorte d’obsession qui ne calme jamais ou bien, une sorte de pauvre vision fragmentaire restée dans le creux d’une couleur qui s’éteint, mais qui resurgit comme une intruse dans le dédale et le désordre blanc de la toile à peindre.

Le souvenir infuse dans la mémoire. Une invitation à la peinture. Les souvenirs filtrés, presque oubliés, suggérés, comme les herbages sauvages de Pierre Bonnard qui sont là pour nous inviter à nous perdre.

Proposer pour laisser aller la surprise , celle qui donne du désir à l’étonnement.
En regardant les toiles de Rosa, et pour l’avoir vu peindre dans mon atelier c’est cela qui me vient en priorité : La représentation, le désir. Deux mots intimement liés.

Rosa n’a pas peur de représenter. Elle regarde pour abreuver ses souvenirs. Tout le temps.
Sans réponse. Juste pour elle. « Pour survivre » comme elle dit.

Elle aime la peinture comme on aime un rapport coloré dans une œuvre de Francesco Goya, un geste qui se déplace, une mer qui se confond à l’horizon, une terre rouge comme celle qu’elle a foulée dans son Espagne, un premier matin de printemps, « l’œil de la terre » et les bleus d’un matin d’hiver, une « nuit verte ».

Représenter c’est avant tout faire le détour par son âme. Donner un sens à la chose représentée c’est lui donner à manger (« juste ce qu’il faut » disait Delacroix), l’écouter en réalisant que, suivant la bonne heure du jour, surgissent d’agréables surprises et des évènements affligeants.

Faut-il encore s’en apercevoir.

Rosa sait tout cela elle le dit dans la discrétion de sa couleur, dans sa précipitation, dans sa passion pour le geste qui est « bel et bien quelque chose qui est fait pour s’arrêter et se suspendre ».

Arriver au « miracle du tableau » disait encore Lacan, c’est bien là la folle direction la folle ambition.

Peindre c’est d’abord s’étonner. Ne jamais se justifier. Retrouver des mondes et des sensations, des formes et des contrastes, un personnage aimé pour la modeler précieusement, une nature révisée, répétée, apaisante, inventée et totalement marbrée de soleil, de pluie et d’orage… ce sont bien là les immenses sujets incontournables, impalpables, sortis de presque rien sinon d’un regard qui se promène, une odeur qui revient , une musique qui réveil les ondes et qui anime les reflets.

Pour Rosa, peindre est avant tout un instant à part de l’existence. L’acte de peindre la touche au très fond d’elle et lui permet de réaliser le bonheur d’exister. Cela existe parfois, quand une peinture est en train de se faire, quand elle sort de son golem, doucement, parfois violemment, parfois avec folie, parfois avec surprise. Tout à coup, je devrais dire , rarement, une vague impression nous laisse croire que notre peinture ressemble à notre état et qu’elle discute avec notre psyché.

C’est sans doute le voyage de Rosa qui vient de peindre sa « nuit verte ». Il pleut des notes échappées de leur partitions qui dansent dans son cœur. Rosa me dit le chant des ses couleurs, le chant de ses promenades , le chant de ses amours sur les cordes d’une guitare, le chant de souvenirs furtifs. Mais elle sait qu’il ne suffit même pas d’avoir des souvenirs. « Il faut savoir les oublier quand ils sont nombreux, et il faut avoir la grande patience d’attendre qu’ils reviennent. Car les souvenirs ne sont pas encore cela. Ce n’est que lorsqu’ils deviennent en nous sang, regard, geste, lorsqu’ils n’ont plus de nom et ne se distinguent plus de nous, ce n’est qu’alors qu’il peut arriver qu’en une heure très rare, du milieu d’eux, se lève la première esquisse d’une composition ».
Merci Rainer Maria Rilke.

La peinture de Rosa est venue vers moi quelques minutes pour très longtemps.

« Peindre le paysage c’est peindre encore le sens de l’existence » 1

« Le sable chaud du sud convoite les camélias blancs » 2

Henri Guibal Petit Taillis Mai 2023


  1. Balthus ↩︎

  2. Garcia Lorca ↩︎